mardi 23 novembre 2010

4.1. LE VOYAGE VERS LE PARADIS...OU C'EST L'ENFER? (I)

Quelles sont les raisons qui poussent des milliers de personnes à risquer sa vie en laissant le pays où ils sont nés?

Quelques réponses à cette première question apparaissent dans une lettre impactante et triste à la fois, c’est le le texte 15 du trésor littéraire. Nous vous conseillons de le lire en classe, et de réaliser les activités que nous proposons.

“Partir, quitter cette terre qui ne veut plus de ses enfants, tourner le dos à un pays si beau et revenir un jour, fier et peut-être riche, partir pour sauver sa peau, même en risquant de la perdre”, telle est l’obession de Azel et que Tahar Ben Jelloun nous décrit dans son roman Partir (texte 14, Trésor Littéraire)

Azel parle de l’absence de futur. Il ressent que sa vie n’a aucun sens et il imagine comment sera sa vie de l’autre côté de la côte africaine.

Lisez le texte 14 du Trésor Littéraire où vous trouverez un échantillon d’activités à réaliser

Maintenant, c’est Lucrecia, l’une de nos élèves, qui parle à ses amis de classe (elle le fait bien sûr en espagnol, la langue coloniale qu’elle connaît, mais elle est native wayúu).

Si la coïncidence vitale le permet, le professeur peut animer des récits par écrit d’abord et puis réaliser leur oralisation en classe. Il s’agit d’écouter, surtout. Et toutes les langues sont permises. Toutes les erreurs commises, par exemple, dans les textes rédigés en français serviront le professeur pour savoir quelle démarche correctrice suivre plus en avant. Il n’y a pas de longueur programmée. Nous pouvons les animer à écrire au moins 10 lignes.

    • “Bonjour. Je viens de Colombie. Je suis arrivée il y a peu de temps. Je suis née dans le Haut Orinococo, près de la frontière avec le Venezuela. Nous sommes venus parce que des mercenaires ont d’abord kidnapé mon papa pendant deux mois dans la jungle colombienne. J’ai eu très peur. Une fois mon papa a été libéré, et comme on voulait le tuer, nous avons demandé refuge politique en Espagne. On n’arrête pas beaucoup dans les endroits. Mon papa n’est presque jamais avec ma maman et moi. Il sait que les mercenaires peuvent venir en Espagne. J’ai peu d’amis encore. J’espère faire des amis ici”.

L’exil politique est donc l’un des mécanismes pour éviter la mort. La question problématique, de nos jours, c’est qu’il faut un visa. C’est-à-dire, les autorités du pays où vous demandez refuge doivent autoriser l’entrée de la personne poursuivie. Le papa de Lucrecia a eu de la chance, mais, de nos jours, les visas ne se concèdent pas. L’arbitraire règne. Et il en est ainsi que des personnes qui ont demandé asile politique de pays en guerre comme l’Afghanistan, l’Irak, ont vu comment des pays comme la France, l’Espagne ou l’Italie leur ont refusé l’autorisation. Mais comme ils avaient peur de retourner des leur pays ravagés, ils ont décidé, malgré tout, d’entrer dans ces pays[1]. Cette situation est plus fréquente que ne le disent les journaux et les autorités. De milliers de personnes, à cause de la négative des pays à leur concéder le visa, habitent en situation irrégulière du point de vue administratif.

Heureusement, il existe des associations qui travaillent pour les droits des migrants et qui protègent l’intégrité des droits humains de ces personnes et qui revendiquent une politique de régularisation ordinaire. Pour l’auteur de ce travail, ainsi que pour les associations telles que la CIMADE en France, ou le FORO GALEGO DE INMIGRACIÓN en Galice, aucune personne est ilégale. Ne pas avoir un document en règle ne peut pas être considéré comme un acte de délinquance...même si en Italie, la droite de Berlusconi a ouvert la porte du racisme institutionnel pour établir une loi contraire aux droits humains des migrants en situation administrative irrégulière. Il s’agit d’une loi qui criminalise les migrants.

Travail.-

À propos de l’exil, lisez le texte 19 du Trésor Littéraire de l’écrivain colombien Faciolince, qui a connu, à peu près, la situation que raconte Lucrecia à propos de son père.

Le personnage de Lucrecia et de son père doit être vu comme une espèce d’hommage que je réalise envers un syndicaliste colombien que j’ai l’honneur de connaître et que j’ai pu faire venir chez nous (à l’occasion du Foro Social Galego) pour qu’il puisse raconter toute la souffrance que les paramilitaires (le gouvernement parallèle d’Alvaro Uribe) lui ont infligé pendant le temps qu’il a été capturé. Malgré son exil, une organisation assassine au service des paramilitaires a eu accès à ses données personnelles (courriel, adresses, ...) et il a reçu de nouvelles menaces de mort en territoire espagnol. Pourtant, malgré ceci et la peur logique, il n’arrête pas de démontrer son courage et de défendre publiquement l’établissement du dialogue entre l’état et la guerrilla colombienne et à la justice sociale pour mettre fin à la guerre et à la violence.

Du rapport de la CFDA (pp. 8-9) nous écoutons la suivante expérience. Nous vous proposons de la lire en classe et de suivre avec les élèves le parcours dans un carte géographique et d’en extraire des conclusions pour travailler l’empathie envers les difficultés qu’ont les personnes qui viennent de pays ravagés para la faim, la guerre, et des catastrophes naturelles.

Nous soulignons quelque unes de ces difficultés bien exprimées dans le rapport de la CFDA, “L’invisibilité des exilés a plusieurs effets regrettables. D’abord, elle relègue à une indigence à durée indéterminée des milliers de femmes et d’hommes – jeunes pour la plupart – qui sont ainsi confinés dans une impasse. La négation de leur existence globale conduit les pouvoirs publics à ne pas les protéger, à ne pas les prendre en charge alors que des lois nationales et des conventions internationales leur garantissent des droits. Enfin, elle a pour conséquence politique d’empêcher tout bilan relatif aux effets d’une réglementation européenne qui crée l’errance sans fin de milliers d’êtres humains. Elle exonère les Etats européens d’avoir à s’interroger sur la pertinence de cette réglementation et sur l’opportunité de la réformer” (p. 10).

***

Assad a fui l’Afghanistan en 1997, à l’âge de 17 ans.

Le départ d’Afghanistan

Les raisons du départ d’Assad remontent à des vacances scolaires alors qu’il se rendait dans la province de Bamiyan avec 3 de ses amis du lycée. En chemin, un groupe de Hazaras[2] leur a barré la route et les a emmenés dans un poste de police. Au bout de 5 jours de détention, Assad – seul Hazara – est libéré. Sans nouvelles de ses amis pashtouns, il a pensé qu’ils avaient été tués. De retour au lycée, il a été questionné sur leur absence et a raconté ce qui leur était arrivé. Des Pashtouns l’ont alors désigné comme responsable de leur mort et ont tenté de le tuer. Assad a fui son pays en laissant ses parents, ses 2 frères et sa soeur.

Du Pakistan jusqu’à Sangatte (1997-2002)

Assad a séjourné 15 jours au Pakistan avant de se rendre en Iran. Il y est resté un peu plus de 3 ans ; il y a notamment travaillé dans une usine, sans être déclaré. Comme il était souvent l’objet de mépris et de brimades de la part de la population et de la police, il a décidé de poursuivre sa route vers un pays plus hospitalier : il est passé en Turquie et, un mois plus tard, il a rejoint la côte grecque à bord d’un bateau de pêcheurs avec 70 autres personnes. Le groupe a ensuite été conduit, après 3 jours de camion, vers Athènes ; puis 5 jours plus tard, toujours en camion, à Patras[3]. Dans un campement informel, « une sorte de ‘jungle’ », il a partagé une tente avec 4 autres personnes. Au bout de 6 mois,

il est monté dans un ferry et a rejoint l’île de Corfou où il est resté 1 mois. Là, il est parvenu à se cacher dans un camion qui embarquait pour l’Italie ; le voyage a duré 11 heures. Une semaine plus tard, il arrivait à Rome et montait dans un train pour Paris. Des Afghans l’ont orienté, avec 2 autres personnes, sur la route de l’Angleterre. A Calais, ils ont pris un taxi pour le camp de Sangatte où

Assad est resté 3 mois. « Passer par le train était trop difficile ; c’est donc caché dans un camion que je me suis embarqué dans un ferry. »

La demande d’asile en Angleterre (2002-2006)

Dès son arrivée en Angleterre en août 2002, Assad a déposé une demande d’asile. Il a été hébergé pendant 2 semaines à l’hôtel avant d’être transféré dans un centre à Ashford ; puis il s’est vu attribuer un hébergement dans une maison à Manchester qu’il a partagé avec 2 autres personnes. Il a bénéficié d’une allocation mensuelle de 150 livres. Au bout de 3 mois, il recevait une réponse négative à sa demande d’asile. Il a fait un recours mais, 3 ans après, son rejet était confirmé.

L’administration lui a ordonné de quitter le territoire britannique. Il y est néanmoins resté et a travaillé au noir plus d’1 an en logeant dans différents endroits. Mais comme la vie devenait trop difficile, il a décidé de quitter l’Angleterre à bord d’un camion qui l’a conduit clandestinement à Bruxelles.

L’errance en Europe puis Calais à nouveau (2006-2008)

Depuis Bruxelles, Assad a pris le train – via Paris – pour l’Italie où à Parme, il a demandé l’asile en 2006. A la différence de ce qui se pratiquait en l’Angleterre, il n’avait droit ni à un hébergement ni à une allocation. Il a reçu une réponse négative 4 mois après le dépôt de sa demande. Il a alors quitté l’Italie pour la France mais a été arrêté à Nice et renvoyé en Italie. A nouveau, il y a demandé l’asile mais cette fois, sa demande n’était pas recevable. Il a toutefois décidé de rester en Italie malgré l’absence de travail et la vie difficile. Il trouvait de la nourriture auprès des églises et tentait de dormir dans des hébergements d’urgence pour la nuit. Au bout de 8 mois, en mai 2008, il est reparti en France. Il a été à nouveau arrêté à Nice par la police ; un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) lui a été remis mais sans être renvoyé nulle part. Il a pris le train pour Paris où il est entré en contact avec le Collectif de soutien des exilés du 10ème arrondissement.

Après une semaine à Paris, il a envisagé d’aller en Belgique pour tenter de gagner à nouveau l’Angleterre. L’agent de la SNCF lui demandant – illégalement – son passeport, il a pris un ticket pour Cherbourg. Echouant à passer clandestinement la Manche, il s’est rendu en train à Calais.

Nous l’avons rencontré le 14 juin à Calais où il partageait, depuis 3 semaines, une tente dans la « jungle » avec 2 autres exilés. La nuit précédente, il était monté dans un camion mais, lorsqu’il a compris que le véhicule n'allait pas en Angleterre, il a fait du bruit pour qu’il s’arrête. Les 2 chauffeurs l’ont frappé avec une barre de fer. Il avait une plaie ouverte sur le crâne ; sa blessure nécessitait plusieurs points de suture.

Epilogue temporaire en Italie

Trouvé par les contrôles britanniques alors qu’il était caché dans un camion, Assad a été arrêté dans la nuit du 18 au 19 juin dans l’enceinte du port de Calais. Il a été placé dans le centre de rétention administrative de Coquelles en vue de son renvoi en Italie car ses empreintes digitales y avaient été relevées. Depuis le 1er juillet 2008, Assad est de nouveau en Italie, à Parme où il s’apprête à déposer une nouvelle demande d’asile.


[1] Il y a un rapport de la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) sur la situation des exilés sur le littoral du Canal de la Manche et de la Mer du Nord, appelé la Loi des “Jungles”. C’est un rapport de mission d’observation des mois mai-juillet 2008; vous pouvez le télécharger à: http://cfda.rezo.net. La CFDA rassemble une “vingtaine d’organisations qui, en France, sont engagées dans la défense et la promotion du droit d'asile, en référence à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et à la Convention de Genève sur les réfugiés ainsi que, notamment, à la Convention Internationale sur les Droits de l'Enfant et à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales” (p. 3).

[2]Les Hazaras, d’origine mongole, sont des musulmans chiites dans un pays sunnite. Ils ont souvent été opprimés, notamment par les Pashtouns. La principale ville de la région où ils sont majoritaires est Bamiyan.

[3] Ville portuaire au nord-ouest de la Grèce depuis laquelle des ferries partent vers l’Italie.

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